Créer son entreprise du bâtiment sans diplôme | Comment faire ?
Vous avez appris le métier sur le tas. Vous avez passé des années sur les chantiers, aux côtés de professionnels expérimentés. Vous maîtrisez votre sujet, vos clients sont satisfaits, et aujourd'hui, vous avez envie de franchir le cap : créer votre propre entreprise dans le bâtiment.
Sauf qu'il y a un problème. Vous n'avez pas de diplôme.
Et là, les doutes s'installent. Est-ce que c'est possible ? Est-ce que c'est légal ? Est-ce que vous allez devoir retourner sur les bancs de l'école pour passer un CAP ?
La réponse est non. Il est tout à fait possible de créer une entreprise dans le bâtiment sans diplôme, mais sous certaines conditions très précises. Et c'est exactement ce que je vous explique dans cet article : les options qui s'offrent à vous, les démarches à suivre, et surtout, les pièges à éviter absolument.
Créer une entreprise du bâtiment sans diplôme : que dit la loi ?
Le principe : les activités réglementées du bâtiment
La première chose à comprendre, c'est que le secteur du bâtiment est un secteur réglementé. Et pour cause : il touche directement à la sécurité des personnes et des biens. Un mauvais branchement électrique, une malfaçon en plomberie, une structure mal conçue… les conséquences peuvent être dramatiques.
C'est pour cette raison que la loi impose une qualification professionnelle pour exercer la plupart des métiers du bâtiment. Cette qualification peut être prouvée de deux manières :
Par un diplôme (CAP, BEP, Bac Pro, BP, BTS ou équivalent reconnu par l'État).
Par une expérience professionnelle d'au moins 3 ans dans le métier concerné.
L’article L121-1 du code de l’artisanat
C'est l’article L121-1 du code de l’artisanat qui encadre les activités artisanales du bâtiment. Il dispose qu’une activité réglementée ne peut être exercée que par une personne qualifiée ou sous le contrôle effectif et permanent de celle-ci. En d’autres termes, il peut s’agir :
du dirigeant : vous, en tant qu'entrepreneur ;
du conjoint collaborateur ;
ou d’un salarié.
Si personne dans l'entreprise ne peut justifier de cette qualification, vous ne pouvez pas créer légalement votre entreprise dans une activité réglementée.
Distinction activités réglementées vs non réglementées
Toutes les activités du bâtiment ne sont pas soumises aux mêmes règles. Il faut faire la distinction entre les activités réglementées et les activités non réglementées.
Les activités réglementées
Ce sont toutes les activités qui touchent au "bâti", c'est-à-dire à la structure des bâtiments, à savoir, la construction, l’entretien, et la réparation des bâtiments. Elles nécessitent obligatoirement une qualification professionnelle. Cela inclut :
la maçonnerie ;
la plomberie ;
l'électricité ;
la charpente ;
la couverture ;
la menuiserie ;
la plâtrerie ;
le chauffage et la climatisation ;
l'isolation ;
la peinture en bâtiment.
Les activités non réglementées
Ce sont les petits travaux de bricolage qui ne touchent pas à la structure du bâtiment. Par exemple :
le montage de meubles ;
la pose de luminaires (sans toucher à l'installation électrique) ;
le changement d'ampoules ;
la fixation de rideaux ;
le petit entretien (nettoyage, débouchage simple de canalisations).
Pour ces activités non réglementées, aucun diplôme ni expérience n'est requis.
Les 3 options légales pour créer son entreprise du bâtiment sans diplôme
Bonne nouvelle : il existe trois options parfaitement légales pour créer votre entreprise dans le bâtiment, même sans diplôme. Voyons lesquelles.
Option 1 : Justifier de 3 ans d'expérience professionnelle
C'est l'option la plus courante pour ceux qui ont appris le métier sur le terrain. Si vous avez travaillé pendant au moins 3 ans dans le métier que vous souhaitez exercer, vous pouvez faire valoir cette expérience comme qualification professionnelle et créer votre entreprise du bâtiment sans diplôme.
Les conditions précises
Pour que votre expérience soit reconnue, elle doit remplir certaines conditions :
Vous devez avoir exercé le métier en tant que salarié ou en tant que dirigeant d'entreprise.
Vous devez avoir exercé le métier spécifique que vous souhaitez pratiquer (par exemple, si vous voulez créer une entreprise de plomberie, il faut 3 ans d'expérience en plomberie, pas en maçonnerie).
L'expérience doit avoir été acquise en France ou dans l'Union Européenne.
Attention : les années d'apprentissage (en alternance ou en contrat d'apprentissage) ne sont généralement pas prises en compte dans le calcul des 3 ans. C'est uniquement l'expérience en tant que salarié qualifié ou dirigeant qui compte.
Les documents à fournir
Pour prouver votre expérience, vous devrez rassembler les documents suivants :
Vos bulletins de paie sur les 3 années concernées.
Vos contrats de travail.
Une attestation de votre (ou vos) ancien(s) employeur(s) précisant la nature exacte de votre activité et vos dates d'emploi.
Le cas échéant, vos certificats de travail.
💡 Mon conseil : Rassemblez ces documents bien en amont de votre projet de création. Certains anciens employeurs peuvent mettre du temps à vous fournir les attestations.
La demande d'attestation de qualification professionnelle auprès de la CMA
Une fois vos documents rassemblés, vous devrez déposer une demande d'attestation de qualification professionnelle auprès de la Chambre des Métiers et de l'Artisanat (CMA) de votre département.
La CMA vous délivrera un récépissé une fois qu’elle aura réceptionné votre dossier complet. Elle examinera votre dossier dans un délai maximum de 3 mois et vous délivrera l’attestation de qualification professionnelle ou vous délivrera sa décision de vous soumettre à une mesure de compensation. En l’absence de réponse dans le délai imparti, la qualification est considérée comme acquise.
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Option 2 : S'installer en "homme toutes mains"
Si vous n'avez ni diplôme ni 3 ans d'expérience dans un métier spécifique, vous pouvez vous installer en tant qu' "homme toutes mains" (ou "femme toutes mains", bien sûr).
Définition et périmètre d'activité
L'homme toutes mains est un professionnel qui propose des petits travaux de bricolage et d'entretien chez les particuliers. C'est une activité non réglementée, qui ne nécessite donc ni diplôme ni expérience.
Le principe est simple : vous pouvez réaliser tous les petits travaux qui ne touchent pas au bâti, c'est-à-dire à la structure des bâtiments.
Ce qui est autorisé
Voici des exemples de prestations que vous pouvez proposer en tant qu'homme toutes mains :
montage et démontage de meubles ;
pose de luminaires (sans modification de l'installation électrique) ;
changement d'ampoules ;
fixation d'étagères, de tableaux, de rideaux ;
petits travaux de jardinage (tonte, taille de haies) ;
nettoyage et entretien courant ;
débouchage simple de canalisations (sans intervention sur la plomberie) ;
pose ou entretien de parquet flottant (non scellé).
Ce qui est INTERDIT
En revanche, vous ne pouvez absolument pas :
réaliser des travaux de maçonnerie (même "petits") ;
intervenir sur les installations électriques (branchements, tableaux, prises encastrées) ;
effectuer des travaux de plomberie (raccordements, modification de tuyauterie) ;
poser des cloisons ;
intervenir sur la toiture ;
réaliser des travaux d'isolation ;
poser du carrelage scellé ;
effectuer des travaux de menuiserie (pose de fenêtres, portes, etc.)
En résumé : si le travail touche à la structure, à la sécurité ou aux installations techniques du bâtiment, vous n'avez pas le droit de le faire sans qualification.
Option 3 : Embaucher une personne qualifiée
La troisième option consiste à embaucher une personne qui, elle, possède la qualification professionnelle nécessaire. C'est le principe du "responsable technique qualifié".
Le principe du responsable technique qualifié
La loi n'exige pas que vous soyez personnellement qualifié. Elle exige simplement qu'au moins une personne dans l'entreprise le soit. Cette personne qualifiée devient le "responsable technique" de l'entreprise. C'est elle qui engage sa responsabilité sur la conformité et la qualité des travaux réalisés.
L'obligation de contrôle et de responsabilité
Attention, ce n'est pas parce que vous avez un salarié qualifié que vous pouvez faire n'importe quoi. La loi précise que les travaux doivent être réalisés "sous le contrôle permanent" de la personne qualifiée.
Concrètement, cela signifie que :
le responsable technique doit pouvoir superviser l'ensemble des chantiers ;
il doit être présent ou joignable en permanence ;
il engage sa responsabilité professionnelle sur tous les travaux.
En tant que dirigeant, vous pouvez très bien intervenir sur les chantiers, mais toujours sous la supervision du responsable technique.
Les risques si la personne quitte l'entreprise
C'est le gros point faible de cette option. Si votre responsable technique quitte l'entreprise, vous perdez votre qualification professionnelle.
Vous avez alors deux solutions :
embaucher rapidement une nouvelle personne qualifiée ;
obtenir vous-même une qualification (en passant un diplôme ou en faisant valider votre expérience si vous avez travaillé 3 ans entre-temps).
Faute de quoi, vous devrez cesser votre activité dans les métiers réglementés.
💡 Mon conseil : Si vous choisissez cette option, sécurisez au maximum la relation avec votre responsable technique (contrat solide, conditions avantageuses). Sa présence conditionne la survie de votre entreprise.
Choisir le bon statut juridique
Une fois que vous avez déterminé comment vous allez justifier de votre qualification professionnelle pour créer votre entreprise du bâtiment sans diplôme, il faut choisir le statut juridique de votre entreprise.
Plusieurs options s'offrent à vous :
Micro-entreprise : simple et peu coûteuse, mais limitée à 77 700 € de chiffre d'affaires annuel pour les prestations de services.
Entreprise individuelle (EI) : pas de limite de CA, mais charges plus lourdes qu’en micro-entreprise.
EURL ou SASU : sociétés unipersonnelles qui protègent votre patrimoine personnel.
SARL ou SAS : si vous vous associez avec d'autres personnes.
Chaque statut a ses avantages et ses inconvénients en termes de fiscalité, de protection sociale, de responsabilité et de gestion administrative.
👉 Pour un comparatif détaillé et des conseils sur le choix du statut juridique le plus adapté à votre situation, je vous invite à consulter mon article dédié : Artisan, quelle forme juridique choisir ?
Les démarches pour créer votre entreprise
Une fois que vous avez choisi votre option et votre statut juridique, il est temps de passer aux formalités de création.
Enregistrement au Registre National des Entreprises (RNE)
Si votre activité est artisanale (ce qui est le cas pour la plupart des métiers du bâtiment), vous devez vous inscrire au Registre National des Entreprises, dont la création a entraîné la disparition du répertoire des métiers.
Cette inscription se fait désormais via le guichet des formalités des entreprises, accessible sur le site de l'INPI (Institut National de la Propriété Industrielle), dont je vous détaille la procédure juste en dessous.
Justification de la qualification professionnelle
Au moment de votre inscription, vous devrez fournir les justificatifs prouvant votre qualification professionnelle :
votre diplôme (si vous en avez un) ;
ou votre attestation de qualification professionnelle délivrée par la CMA (si vous faites valoir vos 3 ans d'expérience) ;
ou les justificatifs de qualification de votre responsable technique (si vous choisissez l'option 3).
Sans ces justificatifs, votre demande d'immatriculation sera refusée.
Le stage de préparation à l'installation (SPI) : facultatif depuis la loi PACTE
Avant 2019, tous les créateurs d'entreprise artisanale devaient obligatoirement suivre un Stage de Préparation à l'Installation (SPI) auprès de leur CMA. Ce stage, d'une durée d'environ 30 heures, coûtait environ 200 €.
Depuis la loi PACTE de 2019, ce stage n'est plus obligatoire. Il reste néanmoins proposé par les CMA, sur la base du volontariat.
💡 Mon conseil : Même s'il n'est plus obligatoire, ce stage peut être très utile, surtout si vous n'avez jamais géré d'entreprise. Il aborde des sujets essentiels : comptabilité, fiscalité, obligations sociales, gestion commerciale, etc. Si vous vous sentez perdu sur ces aspects, n'hésitez pas à le suivre.
Les formalités d'immatriculation via le guichet unique
Toutes les démarches de création se font désormais via le guichet unique des formalités des entreprises, sur le site formalites.entreprises.gouv.fr.
Vous devrez y remplir un formulaire en ligne et joindre les pièces justificatives suivantes :
une pièce d'identité ;
un justificatif de domicile ;
un numéro de sécurité sociale.
Ensuite, d’autres pièces justificatives sont demandées en fonction des cas (rapport du commissaire aux apports, copie des statuts de la société, attestation de délivrance de l’information donnée au conjoint commun en biens, etc.).
Une fois votre dossier validé, vous recevrez votre extrait Kbis (pour une société) ou votre numéro SIRET (pour une entreprise individuelle ou micro-entreprise). Vous pourrez alors commencer à exercer légalement.
💡 À lire aussi : Quelles sont les assurances obligatoires et facultatives pour mon activité d’artisan du bâtiment ?
En résumé :
Créer une société d'artisan du bâtiment sans diplôme, c'est possible. Mais c'est encadré, et pour de bonnes raisons : il en va de la sécurité de vos clients et de la qualité des travaux réalisés.
Les trois options que nous avons vues sont parfaitement légales :
✅ Justifier de 3 ans d'expérience professionnelle dans le métier concerné.
✅ S'installer en “homme toutes mains” pour les petits travaux ne touchant pas au bâti.
✅ Embaucher une personne qualifiée qui sera le responsable technique de l'entreprise.
Quelle que soit l'option que vous choisissez, respectez scrupuleusement le cadre légal. Ne prenez pas de risques inutiles. Les sanctions peuvent être lourdes, et surtout, vous mettriez en danger vos clients et votre propre avenir professionnel.
Si vous avez le moindre doute sur votre éligibilité, sur les démarches à suivre, ou sur les obligations qui vous incombent, n'hésitez pas à vous faire accompagner. C'est un investissement qui vous évitera bien des déconvenues.
💡 Vous souhaitez obtenir des conseils personnalisés sur votre situation ? Je vous accompagne avec plaisir, prenez directement rendez-vous en ligne !
Sabine Vuillermoz
Avocat au Barreau de Sens